du libéralisme autoritaire

Mais quels furent les effets de cette politique ? Cité par Walther SCHOTTE, Der neue Staat, op. On pouvait tabler, philosophait Rüstow, sur le « “noyau décent” qui existe en l’homme194 », une faculté désintéressée présente en tout citoyen, à même de constituer le support d’un « plébiscite de tous les jours195 ». C’est dans une conférence donnée le 5 décembre 1930 dans la grande salle du Conseil économique du Reich à Berlin que Schmitt emploie pour l’une des premières fois publiquement l’expression « État total ». Il ne lui vient pas à l’idée de céder les nouveaux moyens de pouvoir à ses propres ennemis, à ses propres démolisseurs et de laisser ainsi saper son pouvoir sous le couvert de je ne sais quelle formule en vogue, libéralisme, État de droit ou toute autre dénomination. Das Ende der Weimarer Republik und die gegenwärtige Situation, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1978, p. 126-151. Dans la Théologie politique, parue en 1922, Schmitt fustigeait le « combat contre le politique » dans lequel convergeaient selon lui tout à la fois « les financiers américains, les techniciens de l’industrie, les socialistes marxistes et les anarchosyndicalistes », Carl SCHMITT, Politische Theologie. Étrangement, donc, le néolibéralisme, cela commence par une théorie de l’État, et par une théorie de l’État empruntée à Carl Schmitt. Voir aussi Carl SCHMITT, « Der Gegensatz von Parlamentarismus und moderner Massendemokratie », art. Libéralisme-autoritaire. « Wirtschaft » und « Politik » im 20. C’était des armes, les moyens par lesquels la bourgeoisie libérale a lutté, à la période moderne, contre un État absolutiste dont elle s’efforçait de borner puis de saper la puissance. « Solange das Imperium da ist ». C’est la rencontre entre un autoritaire qui se révèle libéral et un libéral qui s’affirme autoritaire. Il s’agit en réalité d’une option pour ainsi dire monstrueuse entre cinq systèmes entièrement inconciliables les uns avec les autres, entièrement opposés, absurdes dans leur juxtaposition, mais clos en eux-mêmes et totaux en soi, chacun avec des visions du monde, des formes d’État, des systèmes économiques opposés, etc. 3. Voir Friedrich HAYEK, The Fortunes of Liberalism. 29. Carl SCHMITT, Tagebücher 1930 bis 1934, op. La notion de « démocratie économique » renvoie à l’époque en Allemagne aux espoirs placés par des syndicalistes et des juristes de gauche en une « constitution économique » de type socialiste, pouvant se développer sur la base de l’article 165 de la constitution de Weimar, qui prévoyait la possibilité de mettre en place des « conseils économiques » réunissant des représentants des travailleurs à l’échelle locale et à l’échelle nationale. Telle est donc aussi la mission de l’« État fort » : « autonomiser » la décision souveraine en matière économique88. 24. Le libéralisme contemporain est autoritaire parce qu'il dénie la figure singulière de la liberté - comme, d'ailleurs, sans doute, il est vrai, le libéralisme l'a-t-il toujours fait . Depuis les années 1920, rappelle-t-il, le maître-mot de la politique économique avait été de rétablir la monnaie par des mesures de déflation volontaire : « L’idéal du déflationniste en vint à être une “économie libre sous un gouvernement fort”204 » – ce qui signifiait en pratique un autoritarisme politique fondé sur l’« état d’urgence et la suspension des libertés publiques », doublé d’un interventionnisme économique d’inspiration libérale portant sur des « prix et des salaires rajustés par le gouvernement205 ». C’est en outre une notion floue qui amalgame l’hétérogène et fusionne les contraires, mêlant tout à la fois mouvements et gouvernements, fascisme et socialisme pour les fourrer tous ensemble dans un grand sac informe. La société ingouvernable - Une généalogie du libéralisme autoritaire; Grégoire Chamayou; Nb. À commencer par ses premiers destinataires, les milieux patronaux, du moins à ce qui ressort du compte rendu qu’en fit le lendemain le Bergwerks-Zeitung, l’organe de l’industrie des mines. le 2 décembre 2020 . Zur wirtschaftlichen Theorie des totalen Staates in Deutschland, Beck, Munich, 1972, p. 125. L’objectif est de sauver les meubles et de hâter la reprise, étant donné, comme le promettait Röpke, que cette « impulsion initiale, pourvu qu’elle soit assez forte, permettrait au système capitaliste de retrouver sa force et sa puissance d’antan130 ». « L’intervention étatique, commente François Bilger, était devenue un mal nécessaire, que nul ne pouvait refuser. Car c’est la preuve que l’impartialité et le sens de l’État sont encore possibles et que, en dépit de toutes les idéologies politiques partisanes qui prétendent le contraire, cela n’a absolument rien d’utopique. 2. Face aux menaces qui pesaient sur lui en Allemagne en tant que juif et opposant au nazisme, il accepta l’invitation que lui adressèrent les autorités espagnoles d’être accueilli comme professeur à l’Institudo de Estudios Internacionales y Economicos de Madrid2. Que l’État démocratique, constitué par décision à la majorité, soit dépourvu d’autorité, voilà ce qui ne saurait être affirmé sur la base d’une expérience ancienne et moderne qui, pour les Allemands, n’a été que trop amèrement corroborée par la guerre. Par un procédé contraire à la structure de l’Allemagne impériale qui reposait sur le principe d’autorité, on assista à une démocratisation de la formule : “L’État c’est moi”, elle devint désormais accessible à tout individu. Que l’État soit jusqu’ici intervenu de la façon que l’on sait, cela a été dû, souligne Rüstow, à des « raisons très profondes et très contraignantes123 ». Le 23 novembre 1932, quelques semaines avant l'accession de Hit. Seul un État fort peut conférer à une seconde chambre un prestige et une autorité tels que les hommes qui accèdent à cette chambre soient libérés de leurs attaches corporatives et puissent oser se soumettre à une décision générale d’ensemble tout en conservant, y compris extérieurement, respectabilité et grandeur, et sans être aussitôt chassés par leurs électeurs mécontents. C.Q.F.D. Ainsi, « le fait que le fascisme renonce aux élections et déteste et méprise en bloc l’elezionismo, cela n’est pas antidémocratique, mais anti-libéral80 ». L'émergence de régimes libertariens . Or cela va beaucoup trop loin car, bien au-delà d’une dépression conjoncturelle, ce que cela entraîne, c’est une mutation structurelle de la forme État, et de ce fait une mise en péril des conditions institutionnelles indispensables à l’économie de marché. 51. On trouve dans les archives de Schmitt « six lettres – tout d’abord amicales, par la suite de plus en plus distanciées ». Il se peut que le bourgeois allemand se tranquillise momentanément en raison de l’assurance donnée par Schmitt à l’« Association au long nom » que l’accroissement des moyens techniques, et en particulier de la technique militaire, a permis un tel accroissement du pouvoir d’État que, à côté de lui, toutes les anciennes représentations de révolutions et de combats de barricades ont pâli44. La rupture intervint après que Schmitt eut posé sa fameuse définition du politique comme antagonisme ami/ennemi45. Sur Walther Schotte, voir note 1, p. 123, dans le présent ouvrage. Le vieux Monsieur [Hindenburg] est devenu fou », Carl SCHMITT, Tagebücher 1930 bis 1934, op. Éditions Zones, octobre 2020. La société ingouvernable - Une généalogie du libéralisme autoritaire pan Grégoire Chamayou. Alexander RÜSTOW, « Dikatur innerhalb der Grenzen der Demokratie » (1929), Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, 7e année, cahier 1, 1959, p. 87-102. Nous verrons qu’il n’en est rien, mais il y a là une difficulté à résoudre. Walther SCHOTTE, Der neue Staat, op. Hayek, c’est l’inversion de Polanyi. 127. Dans État d’exception, Giorgio Agamben rappelle que, « à plusieurs reprises, et notamment en octobre 1923, le gouvernement eut recours à l’article 48 pour faire face à la chute du mark, confirmant la tendance moderne à faire coïncider urgence politico-militaire et crise économique », et souligne le « parallélisme […] entre urgence militaire et urgence économique qui caractérise la politique du XXe siècle », mais il ne met pas en relief la théorisation schmittienne de cet aspect-là de l’état d’exception. En revanche, il ne fait aucun doute que l’Allemagne manque de toute base métaphysico-religieuse pour fonder aussi bien l’État « total » que l’État « autoritaire », ce qui explique que ce dernier ne soit pas en mesure d’empiéter avec toute l’autorité requise sur le domaine de la culture dans son ensemble, ni de déterminer immédiatement la communauté culturelle. » (1930), Gesammelte Schriften, tome II, Recht, Staat, Macht, op. Voir aussi Jens PETERSEN, « La nascita del concetto di “stato totalitario” in Italia », Annali dell’Istituto storico italo-germanico in Trento, vol. Or Schmitt n’a pas seulement fourni les arguments juridiques ad hoc pour cette manœuvre, mais encore la théorie philosophique correspondante. Il n’était cependant pas l’inventeur du programme de l’État « autoritaire », seulement le représentant des pouvoirs qui poussent encore et toujours à la réalisation de ce programme. Le parti national-libéral, fondé en 1866, apporta son soutien dans les années 1870 à la politique de Bismarck. Genèse d’une doctrine, Presses de Sciences Po, Paris, 2008, p. 39. Le libéralisme autoritaire au pouvoir n’était pas renversé, mais il ne pouvait pas non plus perdurer sur base démocratique, d’où son tropisme dictatorial. Y a-t-il jamais eu un État non autoritaire ? 89, no 1, janvier-mars 2011, p. 81-102, p. 81. Employer cette métaphore, promettre une « économie saine », revenait à la considérer comme actuellement malade. Le national-libéralisme, courant politique allemand apparu au XIXe siècle, combinait une orientation libérale au plan économique avec un rejet du parlementarisme. cit., p. 4 (Legalität und Legitimität, op. Un « État fort » pour une « économie libre ». cit., p. 311. Das Kabinett von Papen (1932), tome II, Boldt, Boppard, 1989, p. 754-764, p. 764. 49. Phrase prononcée par Heinrich von Jan lors du procès. Renato CRISTI, Carl Schmitt and Authoritarian Liberalism, op. Par l’influence de ses idées et de ses écrits d’abord. Cette notion a été très critiquée, à juste titre231. 3. cit., p. 30. Au cours du procès, Schmitt se montre trop agressif, et cela le dessert. « Démocratie illibérale » apparaît ici comme un anathème élitiste lié aux motifs classiques de la « haine de la démocratie236 ». Nous avons, des décennies durant, souffert d’une regrettable confusion conceptuelle qui, parce qu’elle considérait tout ce qui était public comme étant étatique, ne permettait plus de construire comme il se doit ce qui était pourtant l’un des accomplissements majeurs du peuple allemand, à savoir une authentique auto-administration. Ô père, ô roi des hauteurs célestes, conduis-moi où tu l’as voulu. 42. Carl SCHMITT, « Starker Staat und gesunde Wirtschaft. Le libéralisme autoritaire ne consiste pas seulement à assortir une politique économique libérale d'une répression accrue face aux contestations qu'elle suscite, mais aussi à concentrer . « Un État-partis pluraliste ne devient pas “total” par vigueur et par puissance, mais par faiblesse ; il intervient dans tous les domaines de la vie parce qu’il doit satisfaire aux prétentions de tous les intéressés », Carl SCHMITT, Légalité et légitimité, trad. On y trouve notamment la trace d’un dîner ayant rassemblé entre autres convives, un soir de juin 1931, Alexander Rüstow, Carl Schmitt et Ernst Jünger116. Voir Preussen contra Reich vor dem Staatsgerichtshof. 1. L'oeuvre de Grégoire Chamayou. 67. Le 23 novembre 1932 en fin de matinée, Carl Schmitt prit la parole dans la « salle de l’empereur » à la Tonhalle de Düsseldorf, une salle de concert majestueuse, qui avait vu défiler les grands noms de la musique classique allemande, dont Schumann, Liszt et Brahms. Pour cette pétition, qu’il situe par erreur en décembre 1932 (ibid., p. 11), Jean-Pierre Faye renvoie aux pièces du procès de Nuremberg sous la cote PS 3901 (ibid., p. 55), où ce document est pourtant bien daté de novembre 1932. Ce danger, quiconque observe les leçons de l’histoire constitutionnelle allemande et l’évolution actuelle de l’État-partis fédéral est capable de le discerner. C’est à cela que se rapportent les propositions, également évoquées par monsieur Springorum dans ses remarques introductives, de former une sorte de seconde chambre, une chambre haute, comme on le dit parfois, qui combinerait le Conseil du Reich, le Conseil économique du Reich et d’autres éléments, ou quelque chose d’approchant44. Friedrich VON SCHILLER, « Würde des Menschen » (1796), Supplemente zu Schillers Werken, tome III, Cotta, Stuttgart, 1858, p. 95. 1932 fut en effet aussi l’année de naissance du néolibéralisme allemand, date à laquelle parurent une série de textes qui en furent les manifestes, les premières ébauches de ce qu’Alexander Rüstow et Walter Eucken appelaient le « nouveau libéralisme », et qui fut par la suite nommé l’« ordolibéralisme89 ». Le roi Frédéric-Guillaume III encourage une guerre populaire de libération nationale. cit., p. 62. Autoritaire ne veut pas seulement dire répressif. Association crématiste : depuis le début du XXe siècle s’étaient formées, notamment en Allemagne, des associations qui promouvaient la pratique funéraire de l’incinération. 215. Franz NEUMANN, « Über die Voraussetzungen und den Rechtsbegriff einer Wirtschaftsverfassung » (1931), Wirtschaft, Staat, Demokratie. 47. Les peuples occidentaux savent, au moins depuis l’époque de l’antique démocratie romaine, qu’une concentration de l’autorité de l’État et la désignation d’un dictateur démocratiquement révocable sont nécessaires dans des états d’urgence et d’exception. Sans cela, ces mesures ne feront, dans le meilleur des cas, qu’organiser un triste doublet du Reichstag actuel. cit., p. 129. Il est capable de distinguer entre ami et ennemi. Voir infra, note 54, p. 22. Au début des années 1930, le recours à l’article 48 s’est banalisé au point de devenir un « instrument législatif de substitution […] dans un sens de plus en plus hostile au pluralisme démocratique et aux libertés fondamentales », Renan LE MESTRE, « Les pouvoirs exceptionnels du président du Reich en vertu de l’article 48 de la Constitution de Weimar. 190. Eine Biographie, op. Espérons qu’elles disparaîtront bientôt pour ne plus jamais revenir.
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